Agnès Dutheil nous
J’ai mis cinq enfants au monde et je me suis rendue compte très rapidement que je m’étais trompée, enfin pas d’avoir mis les enfants au monde (ni même d’enfants d’ailleurs), je me suis trompée dans la façon que j’ai eue de les élever.
Parce qu’on vivait tous ensemble évidemment dans notre famille et puis régulièrement on avait des discussions qui dégénéraient en bataille et on se fritait et on finissait par se séparer, chacun très triste, et puis on ne comprenait pas ce qui se passait. Puis moi je me disais “mais qu’est ce que j’ai fait, qu’est ce que j’ai dit pour que ça dégénère comme ça?”. Je ne comprenais pas.
En fait, c’est qu’avant d’être mère, j’étais une mère parfaite… je m’étais dit en tout cas que je serais une mère parfaite, que je n’allais pas refaire tout ce que mes parents avaient fait et que j’allais élever mes enfants en leur demandant un minimum d’obéissance bien sûr, avec autorité et que j’allais en faire des enfants eux aussi parfaits.
Et puis, à un moment donné, mes enfants se sont rebellés. Vous voyez, ils ont commencé à ne plus être d’accord du tout, et alors là aujourd’hui maintenant devant vous là, je peux dire “merci mes enfants, vous vous êtes rebellés. Grâce à votre rébellion j’ai dû me remettre un peu en question”.
Par amour pour eux, je me suis remise en question.
Et quand j’ai commencé à essayer de comprendre justement cette histoire d’obéissance, je me disais mais comment… probablement que c’est ma manière d’éduquer qui ne va pas quoi et j’ai repensé, ça peut paraître bizarre de vous dire ça mais j’ai repensé à une page de notre histoire, au procès de Nuremberg.
En fait je me suis souvenue de ce procès où on avait demandé à tous les dignitaires nazis qui étaient là mais comment cela a pu être possible ? comment est-ce que vous avez pu faire une chose pareille ?
A l’époque, il fallait se remettre dans les conditions de l’époque, l’Allemagne nazie. L’Allemagne était un pays extrêmement éduqué qui nous avait donné en Europe les plus grands poètes, les plus grands musiciens, les plus grands philosophes, les plus grands écrivains, les plus grands médecins, …
Enfin voilà c’était un pays extrêmement éduqué et, pourtant, ils avaient été capables de mettre au point la solution finale. Comment cela avait pu être possible une chose pareille ?
Et puis chez nous quand mes enfants étaient petits, il y avait eu le procès Papon. Je revois ce vieil homme au moment de son procès, tellement lucide, tellement intelligent, on sentait vraiment cette intelligence vive qu’il avait ce monsieur, et on lui a posé la même question comment est-ce que ça a été possible une chose pareille ?
Et tous, ils ont tous répondu la même chose ils ont dit “on a obéi” alors là je me suis dit « waouh ça veut donc dire que l’obéissance ça déresponsabilise ».
Et puis je vous ai dit que mes enfants commençaient aussi à se rebeller et au moment où je me demandais ce que j’allais vous raconter ce soir, comment j’allais mettre en ordre tout ça, c’était le moment où il y a eu tellement de manifestations en France, il n’y a pas très longtemps, ça fait quelques jours, moi je viens de Nantes et à Nantes, vous imaginez, vous avez vu, ils ont un peu cassé la ville quoi.
On a eu des enfants rebelles, on a eu des jeunes rebelles dans la ville et ces jeunes-là nous disaient la même chose finalement : obéir à quelque chose qui leur paraît autoritariste c’était insupportable.
L’obéissance ça crée ça aussi, c’est à dire qu’on prend sur soi, on encaisse, on encaisse pendant un moment et puis voilà, on se soumet à cette autorité-la et puis à un moment donné, ça explose quoi. On n’en peut plus d’encaisser et c’est ce qu’on a vécu un peu à Nantes et c’est ce que je voyais avec mes enfants.
Alors je me suis dit “est ce que moi, j’avais envie d’avoir des enfants obéissants, dociles, soumis et en même temps rebelles ? »
Non j’avais pas envie de ça. J’avais envie d’avoir des enfants adaptés et libres.
Adaptés ça voulait dire pour moi, des enfants qui comprennent aussi que pour vivre ensemble, il faut des règles bien sûr, il faut des lois et il faut des règles, et que c’est ça qui fait aussi, qui contribue à l’harmonie.
Et en même temps libres à l’intérieur de ces règles, libres à l’intérieur de ces lois, libres de pouvoir dire oui, de pouvoir dire non, de pouvoir s’engager si ça leur semblait juste ou pas juste.
C’est de ça dont j’avais besoin, envie.
Alors je commence à comprendre que plutôt que d’être autoritaire et parfois même autoritariste ce qui était probablement plus juste, c’est que j’incarne l’autorité.
Waouh mais ça c’était un sacrément grand programme ça ! Cela voulait dire d’abord commencer par me connaître moi, qui j’étais moi, quelles étaient mes valeurs qu’est ce que j’avais envie d’incarner vraiment, quel était le sens de ma vie ? Enfin cela ouvrait un champ de questions.
Alors je commence le travail personnel et en même temps je reprends les études et quand ça commence à bouger, tout bouge autour de soi et j’ouvre un cabinet de psychothérapie, j’accompagne des parents, des enfants, des adolescents, des instituteurs et des profs.
Et je m’aperçois, vous savez, on voit toujours mieux la paille dans l’oeil de son voisin que la poutre dans le sien et je vois bien chez les jeunes que je reçois là quelque chose d’autre aussi qui découle de l’obéissance, c’est le vide de sens.
L’exemple qu’on donne à nos enfants, ce n’est pas toujours un exemple très incroyable, finalement la société qu’on leur propose quelquefois, ils se sentent impuissants devant ça.
A quoi bon faire tout ça puisque finalement tout est tout pourri quoi. L’écologie c’est pourri, il y a du terrorisme partout, il n’y aura pas de boulot quand on sera grand puis de toute façon à la limite même s’il y avait du boulot quelque part, je suis pas assez bon pour le faire alors ça marchera pas quoi.
Et alors ça me donne quelque chose de très particulier qui s’appelle la dépression noogène, qui est la dépression du vide de sens.
La désobéissance mène à ça alors je me dis vraiment moi ce que j’ai incarné, ce que j’ai vraiment envie d’incarner et ce que je vais proposer aux parents qui travaillent avec moi ça va être d’incarner la congruence.
La congruence, voyez c’est comme un maçon qui aurait son fil à plomb qui va lui donner sa verticalité.
La congruence, c’est de travailler sa propre verticalité, c’est le fait d’être vertébré soi-même, le fait de pouvoir dire : « ok je sais qui je suis, je connais mes valeurs, je sais ce que j’ai envie de dire et je sais ce que je vais incarner dans ma vie de tous les jours, je connais l’exemple que je vais donner ».
Ah ça, ce n’est pas toujours très facile parce que quand mes enfants justement sont devenus adolescents et qu’ ils sont allés voir leurs copains et bien quelquefois vous savez dans notre société consumériste, il y a des choses qui sont simples, faciles alors que quand on veut incarner des valeurs, il y a des valeurs qui sont difficiles à porter quoi, alors j’avais des enfants qui quelquefois me disaient wow mais non on préférerait aller habiter chez notre copain et même un jour j’ai entendu une chose horrible, j’ai entendu « mais moi je préférerais avoir elle comme mère », alors ça c’est dur.
Et puis, ce que je comprends en même temps c’est que ok donc j’avais quitté l’idée que j’allais être parfaite comme mère. J’étais donc imparfaite donc, j’avais le droit de faire des erreurs.
Mais si je faisais des erreurs à ce moment-là, il se passait quelque chose et je m’en suis rendue compte un jour où vous savez, on avait décidé des règles de vivre ensemble tous ensemble avec les enfants et notamment le fait qu’on n’avait pas de téléphone quand on était à table (parce que pour nous le moment du repas c’est quelque chose qui était privilégié), on avait donc décidé de pas prendre le téléphone.
Et puis un jour, enfin très rapidement après cette décision là, le téléphone a sonné pour moi et c’était un coup de téléphone que j’attendais, que je jugeais moi très, très important alors j’ai répondu et mes enfants ils m’ont dit “ben ça va pas ça si nous on répond pas, toi tu réponds pas non plus” .
Et donc ce que j’ai compris ce jour-là, c’est que ok je pouvais faire des erreurs mais qu’à ce moment-là, j’étais passible des mêmes sanctions que celles que je posais à mes enfants et donc, je me suis privée de téléphone pendant plusieurs jours.
Une autre fois, je rentre dans la salle de bain, et j’imagine que tous les parents connaissent ça vous savez, vous rentrez dans la salle de bain et vous voyez par terre les fringues étalées du dernier qui s’est lavé, avec la serviette mouillée bien sûr par terre, et alors je rentre dans cette salle de bain et là, mon coeur fait un bond, je me dis que non c’est pas possible donc j’appelle le fils en question et je lui dis “Ecoute voilà tu sais que ce qu’on avait décidé ensemble, là ça va pas être possible. Il va y avoir une sanction à ce truc là quoi”.
Mon fils me regarde et me dit : “Est-ce que tu veux bien te retourner, regarder derrière toi ?”… et là il y avait tout mon maquillage sur le lavabo.
Alors nous avons été passibles tous les deux de la même sanction, c’est-à-dire que, quand on laissait traîner nos affaires, nous mettions toutes nos affaires dans une bassine que l’on pouvait récupérer le dimanche suivant donc je suis restée au naturel pendant une semaine.
Aujourd’hui je me dis que j’accompagne en fait les parents et ce que je peux voir parce que ça n’a pas été facile. Ce n’était pas facile pour moi de tenir ça et je voyais bien que pour les parents autour de moi ce n’était pas facile non plus, et je peux me dire aujourd’hui qu’il y a trois raisons vraiment qui sont vraiment difficiles aujourd’hui quand on est parent :
- la première c’est que nos propres parents avaient un espèce de pilier qui était (pour beaucoup d’entre eux en tout cas) la religion avec des principes, un ordre divin qui était établi et puis la notion du bien et du mal qui était là. Alors que là aussi, pour beaucoup d’entre nous, aujourd’hui, c’est plus tout à fait la même chose, on a une éthique personnelle et on se pose plutôt la question du juste pas juste (pas simple ça).
- La deuxième raison c’est qu’auparavant aussi nos parents, ils nous guidaient dans un monde qui était certes plus grand qu’eux mais qu’ils maîtrisaient à peu près. Ils connaissaient à peu près ce monde et ils nous en apprenaient les codes et puis aujourd’hui vous voyez un couple, un papa avec qui j’ai travaillé, avec son fils, et voilà ce qu’il m’a expliqué : « Un jour, tu comprends aujourd’hui c’est bien compliqué parce que aujourd’hui c’est nos enfants qui nous apprennent, ça s’appelle l’inversion des lignes de transmission du savoir ». Alors comment faire autorité quand ce sont nos enfants qui nous apprennent ?
- Et puis la troisième difficulté, c’est que souvent on est seul, tellement seul dans ce monde où notre travail nous envoie aux quatre coins du monde ou aux quatre coins de la France bien souvent et qu’on est loin de nos familles, loin de nos racines, loin de ce qui pourrait nous aider à être soutenus quoi, on est tout seul.
Bon, aujourd’hui, j’ai un petit peu de recul par rapport à ce que je propose dans l’éducation. D’abord, parce que moi-même je suis grand-mère. Mes enfants sont grands, et pendant que je vous écrivais là aussi je reçois le coup de fil du patron d’un mes enfants, on parle de certaines choses et puis un moment donné il me dit “vous savez ce qui est vraiment chouette avec votre fils c’est qu’il a des valeurs et qu’il les incarne”.
Et alors, moi qui me posait la question finalement qu’est ce que j’allais vous dire ? peut-être ça m’a donné cette légitimité là.
Oui, en fait nos enfants du coup ils incarnent ces valeurs-là et les parents que j’ai suivis, maintenant que j’ai suivi plusieurs milliers de parents à travers toutes les conférences, que je peux donner les réponses et les mails aussi que je reçois par rapport aux livres que j’ai écrits ou alors les ateliers où le travail en individuel, en fait cela fait plusieurs milliers de personnes que j’ai suivi et qui me disent la même chose : qu’est ce que c’est chouette de savoir qui on est, qu’est ce qu’on a envie de transmettre, qu’est ce que c’est chouette parce que quand en fait ça souffle fort le vent dehors, quand nos enfants nous bousculent, quand nos enfants viennent nous chercher dans les endroits qui sont tellement sensibles pour nous alors quand on est vertébrés quand on sait où on va, vraiment ça aide.
Ma fille, en rentrant d’un de ses voyages m’a dit “Maman tu sais la plus belle chose que tu nous aies donné, c’est que tu nous as donné des racines et des ailes” et je me suis dit est-ce que je peux recevoir un tel cadeau alors que je me sentais tellement souvent une piètre mère ?
Et ce que je comprends c’est ça aussi dans ce qu’elle me dit : c’est tu sais je sais qui je suis, je suis libre à l’intérieur du cadre que tu nous as posé, je suis libre de pouvoir m’engager quand j’ai besoin, je suis libre de pouvoir dire oui, de pouvoir dire non.
Je comprends ça dans ce qu’elle me dit et je me dis que le siècle qui vient, il a besoin d’avoir nos jeunes, d’avoir nos enfants, eux aussi enracinés, eux aussi avec du sens, en ayant trouvé le sens de leur vie, en pouvant incarner leur valeur et en pouvant dire de grand oui et de grand non dans le siècle qui vient.
Retranscription de Les parents à l’école de la congruence ? | Agnès Dutheil | TEDxLille
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