Nous sommes vendredi soir et vous avez eu une semaine extrêmement stressante. Vous avez eu énormément de travail, vos enfants ont été malades, bref vous n’aspirez qu’à une chose, passer un bon moment avec votre conjoint et vous détendre. Vous avez préparé un bon repas, enfin en tout cas vous y avez mis tout votre cœur, et vous servez votre conjoint.
Il vous dit « elle est bonne cette recette mais elle manque un peu de peps. Tu trouves pas ? » Et là vous vous sentez bouillir intérieurement.
« Si t’es pas content tu pouvais le faire toi même ».
« Non mais ça va chéri, qu’est ce que t’as? 
“Non mais t’es jamais content ! »
Et la situation dégénère. 

 

Est ce qu’il vous est déjà arrivé de vous retrouver dans une situation comme celle ci ? où vous reportez sur quelqu’un, votre conjoint ou vos enfants, un stress qui provenait d’ailleurs, du travail par exemple. Levez la main si c’est le cas
Est ce qu’il vous est déjà arrivé de vous retrouver mal à l’aise ne sachant pas trop quoi dire ou quoi faire face à quelqu’un qui venait de perdre un proche ? Levez la main si c’est le cas. Est ce qu’il vous est déjà arrivé de vous retrouver un jour aux prises avec une émotion si envahissante (de la colère, de la jalousie, de la tristesse ou du stress) que vous auriez vraiment aimé qu’il existe une pilule magique qui vous permette de la faire disparaître d’un seul coup ? Levez la main si c’est le cas.
Voilà le fait que vous soyez si nombreux à lever la main est déjà une indication de l’intérêt d’inclure un module sur les compétences émotionnelles à l’école. Parce qu’en fait, l’école se centre essentiellement sur nos compétences cognitives, sur notre développement intellectuel. Un peu sur notre développement physique, un petit peu sur notre développement artistique mais pas vraiment sur notre développement socio émotionnel. Pourtant il existe un certain nombre d’arguments qui montrent la pertinence d’inclure un module sur les compétences émotionnelles à l’école.

La première chose qu’il faut savoir c’est qu’entre le moment où nous nous levons le matin et le moment où nous nous couchons le soir, nous passons 90% de notre temps d’éveil à ressentir des émotions. 

Et ces émotions vont avoir un impact sur les 4 domaines les plus importants de notre vie :

  • Notre bien être d’abord. Pensez à comment vous vous sentez bien quand vous êtes sereins ou fiers de vous, de vos enfants. Pensez à comment vous vous sentez mal quand vous êtes stressés, en colère ou jaloux. 
  • Elles vont avoir aussi un impact sur notre santé physique. Il y a toute une série d’études qui documentent l’effet du stress chronique ou de la colère par exemple sur la santé. 
  • Elles vont influencer notre performance au travail, certaines émotions l’augmentent comme l’enthousiasme, d’autres émotions comme l’ennui la diminuent. 
  • Et finalement elles vont avoir un impact sur nos relations avec les autres. La gratitude et l’amour sont des émotions qui rapprochent alors que la jalousie ou la colère ou encore l’envie éloignent. 

 

Alors pouvoir traiter ses émotions, les identifier les comprendre, les utiliser, les exprimer et les réguler, et bien ce n’est pas donné à tout le monde et c’est ce qu’on appelle l’intelligence émotionnelle ou les compétences émotionnelles.

 

Identifier ses émotions

 

Certaines personnes décryptent très facilement ce qu’elles ressentent ou ce que les autres ressentent alors que d’autres ont beaucoup plus de difficultés à le faire. Bien évidemment quand on a une émotion très intense comme sur la photo ci dessus tout le monde peut identifier qu’il s’agit de la colère mais c’est beaucoup plus difficile lorsque les émotions sont exprimées à faible intensité ou de manière extrêmement brève ce qui est le cas pour la majorité de nos expressions émotionnelles à l’âge adulte puisque nous devons gérer nos émotions. Et bien évidemment la vie est beaucoup plus facile quand on peut identifier ses émotions et celles des autres très précocement, identifier par exemple le stress avant qu’il ne se transforme en burn out ou l’agacement de quelqu’un avant qu’il ne se transforme en colère.

 

Comprendre ses émotions 

 

Mais ce n’est pas aussi évident qu’il y paraît. Dans l’exemple que j’ai donné au début 50% des gens vont confondre le déclencheur de l’émotion c’est à dire la petite remarque du conjoint sur le fait que la recette manquait de peps avec la cause profonde de l’émotion qui est en fait tout l’énervement accumulé pendant la semaine. Or comme vous pouvez vous imaginer et bien si je pense que mon énervement est dû à la remarque de mon conjoint ou entièrement dû et bien je vais avoir beaucoup plus de chance de m’énerver sur lui. Alors comprendre c’est bien mais utiliser c’est mieux. 

 

Utiliser ses émotions 

 

Cela veut dire utiliser le message véhiculé par l’émotion pour implémenter les changements qui s’imposent. Donc toujours en référence à l’exemple donné au début, et bien cela voudrait dire ne pas me limiter à constater que mon irritabilité grandissante est de plus en plus fréquente ou indique que je suis proche du burn out mais voir quels changements je peux concrètement apporter à ma vie pour diminuer mon stress et donc limiter la probabilité de tomber en burn out

 

Exprimer ses émotions 

 

Et bien c’est aussi quelque chose qui n’est pas évident pour 75% d’entre nous. Certains n’arrivent pas du tout à exprimer ce qu’ils ressentent alors que d’autres n’arrivent pas à le faire de manière socialement acceptable ou constructive. Or comme le disait déjà Aristote « Pouvoir exprimer ses émotions à la bonne personne, pour la bonne raison, au bon moment, à l’intensité voulue et de la bonne manière, ce n’est pas facile et ce n’est pas donné à tout le monde. »

 

Réguler ses émotions 

 

A la hausse ou à la baisse, et bien ce n’est pas évident non plus. Il suffit que vous regardiez autour de vous et vous remarquerez que tout le monde ne gère pas aussi efficacement le stress, la tentation ou l’énervement par exemple. Donc en fait ce que vous aurez intuitivement compris c’est que tout le monde n’a pas de bonnes compétences émotionnelles et ces compétences émotionnelles, en référence à ce que j’ai dit précédemment sur les émotions et bien elles vont à leur tour influencer ces quatre domaines très importants dans notre vie. 

Au niveau de la santé mentale les personnes qui ont de meilleures compétences émotionnelles sont plus heureuses et sont moins à risque de toute une série de troubles comme l’anxiété, la dépression ou le burn out par exemple. Il faut concevoir en fait le rôle des compétences émotionnelles sur la santé mentale un peu comme la résistance du bras qui porterait un plateau. Si vous avez de bonnes compétences émotionnelles je peux mettre beaucoup de verres sur votre plateau avant que votre résistance ne cède alors que si vous avez de faibles compétences émotionnelles il suffira de quelques verres pour que déjà cela vous semble trop lourd. Notez que la résistance évidemment n’est jamais infinie. Si je mets un tonneau sur le plateau, la résistance évidemment de tout le monde va céder. 

 

Alors nos compétences émotionnelles vont aussi influencer notre santé physique. Nous avons mené une très large étude avec la plus grosse mutualité belge qui indique que meilleures sont vos compétences émotionnelles moins de médicaments vous consommez, moins souvent vous allez chez le médecin et moins souvent vous êtes hospitalisé. En fait chaque pourcent de compétences émotionnelles en plus réduit de 1% les dépenses en soins de santé. 

 

Au niveau de notre vie professionnelle, les compétences émotionnelles jouent aussi un rôle. A QI (Quotient Intellectuel) et à compétence technique égales les personnes qui ont de meilleures compétences émotionnelles performent mieux. Au niveau de la vie sociale, c’est vrai également. Meilleures sont vos compétences émotionnelles et plus satisfaisantes et durables seront vos relations avec les gens qui vous entourent (votre conjoint vos enfants mais aussi vos collègues et vos amis). Alors imaginez maintenant qu’on puisse améliorer les compétences émotionnelles, que vous puissiez améliorer vos compétences émotionnelles en 18 heures seulement. Qu’en 18 heures, vous puissiez apprendre à mieux reconnaître les émotions des autres, à mieux comprendre vos émotions, à mieux les gérer. Et bien c’est possible, nous avons développé un programme pour ce faire. Alors je ne vais pas détailler ce programme ici mais ce programme évidemment comme vous l’aurez compris se centre sur le développement des cinq compétences émotionnelles que j’ai mentionnées avant et lorsqu’on compare l’efficacité de cette formation de 18 heures à une autre formation centrée sur un contenu tout à fait différent (l’improvisation théâtrale par exemple) ou lorsqu’on compare son efficacité à des personnes sur liste d’attente et bien on voit aussi de nouveau une amélioration sur les quatre domaines que j’ai mentionnés avant. 

 

Au niveau de la santé mentale on a une amélioration du bien être et une diminution très très importante du stress. Donc entre moins 20 et moins 40% et ce n’est pas juste quelque chose que les gens rapportent comme ça pour nous faire plaisir. On a pu attester cela via des mesures notamment de cortisone capillaire. Vos cheveux gardent une trace du stress que vous accumulez et donc je peux comparer le stress que vous avez accumulé durant les trois mois qui précèdent la formation et durant les trois mois qui suivent la fin de celle ci. 

 

On a aussi un effet sur la santé physique. Les gens rapportent entre 15 et 30 pourcent de moins, de toute une série de petits maux du quotidien, les maux de dos, les maux de ventre etc. Alors quand on prend des populations spécifiques dont la maladie est influencée par les émotions, c’est le cas des migraines par exemple (80% des migraines sont déclenchées par du stress de l’irritabilité ou de la colère) et bien on voit que les personnes qui ont suivi cette formation voient leurs migraines diminuer de 30%. 

Les diabétiques aussi (vous savez que la glycémie est aussi influencée par le niveau de stress) voient leur glycémie diminuer significativement. 

 

On a aussi un effet sur la vie professionnelle. Cette formation vous rend, à compétences techniques et intellectuelles égales, trois fois plus attractif pour un employeur et finalement comme vous vous y attendez on a un effet sur les relations sociales avec une amélioration de la qualité des relations avec les proches et une diminution de plus ou moins 20% des conflits. 

 

Améliorer ses compétences émotionnelles c’est donc bénéfique à l’individu mais c’est aussi bénéfique à la société y compris financièrement. Sur base des données de l’étude avec la mutuelle que j’ai mentionnée précédemment nous avons calculé avec des collègues économistes que l’inclusion d’un module de 18 heures de formation aux compétences émotionnelles à l’école permettrait une diminution de 10% des dépenses en soins de santé. 

 

Donc voilà tout cela ça peut sembler utopique mais ce n’est pas une utopie pour autant qu’on puisse, qu’on veuille introduire des heures de cours portant sur le développement socio émotionnel de l’individu dans le cursus scolaire. Le problème c’est qu’à l’heure actuelle il n’y a plus ou moins qu’1 école sur 100 dans le monde occidental qui le fait. Et ce sont essentiellement des écoles à pédagogie alternative fréquentées par des élèves favorisés. Alors si comme moi vous pensez que ce sont des compétences essentielles fondamentales que tout individu quel que soit son origine sociale devrait pouvoir développer, parlez en autour de vous. Parlez en aux décideurs, parlez en au politiques, si vous en connaissez, interpellez les directeurs d’école, les enseignants et dans l’intervalle ne négligez pas cette facette du développement de votre enfant

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Texte issu de la conférence Améliorer son intelligence émotionnelle, pourquoi pas à l’école? | Moïra Mikolajczak | TEDxUCLouvain

 Moïra est Professeur de psychologie à l’Université catholique de Louvain (UCL). Elle mène des recherches sur les compétences émotionnelles des individus et leurs effets sur la santé. Elle a conçu des programmes de formation visant à l’amélioration des compétences émotionnelles et du bien-être. Elle est la (co)auteure de nombreux livres dont Stress et défis de la parentalité (De Boeck, 2015), Les compétences émotionnelles (Dunod, 2014), Vivre mieux avec ses émotions (Odile Jacob, 2013), Traité de régulation des émotions (De Boeck, 2012).

Il a été prouvé que plus un individu dispose de compétences émotionnelles, mieux il gérera ses rapports sociaux et sa réussite personnelle, tout en diminuant les risques de stress ou de troubles psychologiques. Moïra voudrait donc que les programmes scolaires puissent un jour intégrer les découvertes de la psychologie (comme à certains endroits aux États-Unis) et permettre à chacun de gagner en bien-être, en santé et dans ses relations avec les autres.

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