Je suis une solitaire qui n’est pas toujours à l’aise dans ce monde. 

Je vais même vous avouer comme ça, dès la première minute, que pendant longtemps je n’aimais pas les humains. Les animaux et la nature oui, c’était mes ressources quand j’étais enfant, mais je n’aimais pas les humains. Vers l’âge de 4 ans, ce que j’observais quand j’étais avec les autres enfants, c’était du rejet, de l’humiliation, la compétition. J’ai vite compris que l’humain était la seule espèce capable de détruire tout en ayant conscience de le faire. Et je n’avais pas envie d’appartenir à cette espèce. 

J’ai grandi dans une cité. L’atmosphère était violente, visible et non visible. Et il n’y avait pas vraiment d’adultes pour réguler cela. Moi j’étais une enfant précoce, hypersensible, je n’ai pas du tout réussi à m’adapter aux autres enfants. Donc je n’en parle pas souvent, rarement même mais pendant des années, à l’école, j’ai été maltraitée et tabassée par les autres enfants. J’en ai gardé des stigmates psychologiques et des douleurs physiques que je soigne encore aujourd’hui. 

J’étais d’une timidité maladive, mode de survie transparente. Vous savez comme ces poissons au fond de l’eau qui prennent la couleur du sol pour se camoufler. Tout me faisait peur, parler à la boulangère me faisait peur, monter sur scène pour réciter des poèmes, je ne vous en parle même pas. Vivre ensemble, cela relevait du défi pour moi. 

Comment fait-on pour vivre en harmonie les uns avec les autres quand tous les jours on se fait harceler ? Quand tous les jours on se sent en danger ? Comment fait-on pour se relier avec les autres ?  Quand on a la croyance, dès l’enfance, que le jeu s’oppose à nous et que le monde est hostile. Vers l’âge de 5 ans, j’ai trouvé le refuge dans les salles de cinéma pour tenter de comprendre l’homme et m’évader de mon quotidien. Quand on me demandait ce que je voulais faire quand j’étais petite, je répondais réalisatrice parce que je voulais offrir aux gens ce que le cinéma m’avait offert. Alors pendant des années, pendant plus de vingt ans, j’ai travaillé sur des tournages de films. 

Mais comme j’étais discrète et que je manquais de confiance en moi, je me suis naturellement planquée derrière les réalisateurs à les aider et les soutenir à faire leur film. Mais petit à petit, je ne trouvais plus de sens à ma vie. Un jour, je me suis réveillée et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de vivre ma vie à moitié. Mais pour cela, j’ai eu besoin d’arrêter de suivre le chemin guidé par mes peurs. Quand je les ai regardées en face ses peurs, je me suis rendue compte qu’elles diminuaient d’elles mêmes. 

Pour devenir réalisatrice, j’ai donc affronté ma peur d’être visible, donc de manière totalement inconsciente, potentiellement en danger. Je pense qu’on ne peut pas vraiment vivre ensemble si on ne se permet pas d’être authentique et d’être soi. Je pense que pour être authentique il faut accepter toutes les parties de soi même les plus honteuses. 

Alors quand je suis devenue réalisatrice, j’ai pris par ma main ma vulnérabilité pour me mettre en avant, surtout quand j’ai eu besoin de diriger toute une équipe, parfois 30 ou 40 personnes. 

POUR CELA, J’AI UTILISÉ LA RÈGLE DES 4 P :

J’avance en faisant le Plus Petit Pas Possible

Le premier pas c’est le plus difficile parce que c’est le premier. Donc du coup je place un objectif facile qui va me demander peu d’effort.

Je pense que tout a un sens dans la vie. C’est ce que je me suis rendue compte au fur et à mesure de mes expériences avec le recul. En fait, j’avais observé le monde sans vraiment y participer pendant des années mais c’est ce chemin qui m’a amené à faire ce que j’aime vraiment c’est à dire m’exprimer à travers des films. Et puis c’est cette enfance qui m’a donné la niaque de faire face aux aléas de ce métier. C’est au fur et à mesure de la réalisation de mes films que je me suis rendue compte qu’ils avaient tous un point commun : Je m’interroge sur notre place dans la société, je tente d’illustrer comment trouver un sens à sa vie. Comment être libre et responsable. Comment sortir du conditionnement, qu’il vienne de soi ou de l’extérieur. Donc en fait comment vivre en soi pour pouvoir vivre ensemble

Mon premier film “Murmures” raconte l’histoire d’un prisonnier enfermé entre quatre murs. Je voulais raconter la liberté dans l’enfermement, l’enfermement dans la liberté, comment on enferme, on met à l’écart les gens qui ne savent pas vivre ensemble et la difficulté de la réinsertion dans notre société. 

Récemment j’ai rencontré des Indiens Kogis de Colombie appelés aussi peuples racines. J’ai découvert que chez eux lorsqu’une personne commet un délit quel qu’il soit il est envoyé chez le chamane qui va le rééduquer et lui réapprendre ce qui n’a pas été compris. 

Cette personne sera alors réinsérée dans la société et cela sera un excellent éducateur pour les plus jeunes. En fait, toute la communauté tire des leçons des erreurs de chacun. C’est une société qui inclut là où notre société exclut. Parfois lorsque c’est nécessaire, le chamane va chercher dans l’histoire transgénérationnelle du délinquant pour le soigner. Et moi ça faisait des années que j’étais fascinée par les secrets de famille qui se transmettent de génération en génération par l’inconscient. Et j’en ai fait le sujet de mon second film “Ces liens invisibles sur la psycho généalogie“. Ce film raconte l’histoire de trois personnes bloquées dans leur vie à cause de leur douleur ancestrale honteuse et cachée. Je voulais montrer comment le vivre ensemble va parfois au delà de ce qu’on imagine dans les liens invisibles qui nous unissent à nos ancêtres. 

Pour mon troisième film j’ai eu envie d’aller au cœur du cœur. Alors cette fois ci c’est une coréalisation avec Leslie Coutterand. Le film s’appelle “I Love Therefore I am“, cela veut dire “j’aime donc je suis” en français et il est actuellement en cours de tournage. Cela faisait des années qu’on se sentaient impuissantes face à ce qui se passe dans le monde, face aux problèmes de société, aux problèmes écologiques, aux violences qu’on s’inflige les uns envers les autres et aux violences qu’on s’inflige à nous mêmes aussi. Donc on est parties faire une quête initiatique autour du monde pour voir comment on pourrait ramener plus d’amour dans nos vies. Parce qu’on pense que l’amour universel est la réponse à tous les problèmes de la société. On s’est demandé “et si on inversait le ratio entre l’énergie que l’humain consacre chaque jour à la destruction, la peur, le jugement et l’énergie qu’on consacre tous chaque jour à la bienveillance, l’altruisme et la coopération. Quelle société se dessinerait ?

C’est en réfléchissant à cette conférence que je me suis rendue compte que mes films suivaient chronologiquement ma façon d’aborder le monde. Mon premier film raconte l’histoire d’un homme seul dans un environnement hostile. Mon deuxième film s’élargit à la sphère sociale en s’intéressant à des familles. Et mon troisième film s’ouvre sur des êtres vivants et sur la planète entière. Et c’est un film plein d’espoir. Alors pour expérimenter un vivre ensemble bien heureux j’ai donc dans un premier temps apprivoisé ma peur d’être visible. 

Je me suis dit cette peur d’exister, elle est en moi mais je ne suis pas cette peur. Devenir réalisatrice à donner un sens à ma vie et avoir un sens à ma vie m’a aidée à m’ouvrir aux autres. Bon tout ça c’est work in progress. L’inverse est vrai aussi c’est à dire que quand je m’ouvre aux autres, je me suis rendue compte que je me sentais mieux. En fait c’est un cercle vertueux. J’ai souvent entendu des personnes me raconter que c’est leur rencontre avec un grand sage, un grand maître, qui leur a changé leur vie. Et bien moi je n’ai pas de maître. Depuis que je suis petite, je me dis que chaque être vivant que je rencontre, peut me donner une leçon et peut être un maître pour moi.

ALORS CE QUI A EN PARTIE CHANGÉ MA VIE, C’EST MA RENCONTRE AVEC UN CHIEN. 

Pendant des années je marchais dans la rue en regardant le sol, un casque vissé sur les oreilles, la musique me coupant du monde. Vous savez comme ces enfants qui pensent que si ils ne vous voient pas vous ne les voyez pas non plus. A chaque fois que je levais les yeux je voyais des regards hostiles et fermés. Et bien avec ce chien, j’ai fait l’expérience de gens qui traversent la rue pour venir me voir et dans les transports on me dit au revoir et bonne journée. Ce chien m’a fait réintégrer la facette accueillante de la vie et de l’humain sur une base quotidienne. Il ne se passe plus un jour sans que je rencontre des personnes souriantes et avenantes. Cette douceur s’est diffusée petit à petit dans mes veines jusqu’à en changer ma croyance initiale. 

Ma timidité s’envole chaque jour un peu plus. Et plus jamais je ne marche dans la rue en regardant le sol. Parce que je me tiens disponible pour un sourire. Vous savez que sourire libère des endorphines qui est la molécule du bonheur

Quand quelqu’un vient vers moi en me souriant, et bien cela me donne envie de donner, de faire un acte bienveillant à mon tour. Et c’est toute une chaîne qui se construit. J’ai compris que le regard des autres qu’il soit hostile ou bienveillant cela ne me définit pas. 

Y a des enfants partout dans le monde qui comme moi ont démarré leur vie sur un faux départ. Mais une fois adulte on est l’unique responsable de sa vie.

LA VIE N’EST NI ROSE NI NOIRE, ELLE EST CE SUR QUOI JE PORTE MON ATTENTION.

Ce qui m’a permis aussi de me sentir vivante, c’est d’agir. D’agir pour moi, pour les autres, pour le monde.

Les jours où je ne me sens pas bien avec moi même et bien je fais l’effort de m’ouvrir aux autres et d’agir avec bienveillance. Et cela change le vivre ensemble et donc la manière dont moi je vis avec moi même. Chaque jour, je m’engage à me connecter à l’amour parce que cela s’entretient cette chose là. Je ne fais plus d’achats rien que pour moi. J’essaye de voir quel en sera l’impact dans la communauté du monde c’est à dire les hommes, les animaux, les plantes, l’environnement. 

Bien sûr, c’est loin d’être évident dans notre société. Donc pour ça, j’avance en faisant le Plus Petit Pas Possible. Je fais ce que je peux mais je tente. 

Et les jours où j’arrive à la fois à agir pour le bien commun et pour mon propre bien être. Et bien c’est là que je me sens dans la plénitude et que je me sens sereine. Des scientifiques expliquent que l’individualisme évolue dans les sociétés d’abondance et sécurisantes. Lorsqu’il y a des difficultés quelles qu’elles soient, les êtres apprennent à se rassembler et s’entraident. J’ai pu constater cela dans l’un des peuples avec qui j’ai vécu qui vivent dans la pauvreté ou dans un milieu hostile mais qui pourtant sont heureux parce que leur vivre ensemble est basé sur l’altruisme et la coopération. Les peuples racines se déplacent en ce moment pour venir parler aux petits frères occidentaux parce qu’il y a urgence. Nous ne devons pas attendre de vivre des évènements de plus en plus difficiles pour apprendre à nous relier avec bienveillance. 

Est ce que vous avez déjà pensé à ce qui se passerait dans le monde, si là dès ce soir, chacun d’entre nous, on se couchait en se demandant “Ai-je apporté de l’amour à quelqu’un aujourd’hui ? De qui ai-je reçu de l’amour aujourd’hui ? Et si ce n’est de personne aujourd’hui au moins est-ce de moi même. 

Comme vous le savez l’un des poisons de ce monde c’est l’ignorance. Alors quand on aura fini le film I love therefore I am, nous allons faire une version pour enfant qui sera diffusée dans les écoles. Avec des ateliers encadrés par des professionnels. Parce que l’amour c’est inné mais surtout ça s’apprend. Se plaindre demande moins d’énergie qu’être dans l’ouverture. Alors l’amour c’est une décision quotidienne. J’imagine le même type d’école que j’ai connues avec des enfants de toutes origines mais ils seraient éduqués dès la petite enfance aux valeurs de tolérance, de solidarité, d’amour de soi au même titre que les math. Et bien je pense que ça serait une source de richesse incroyable pour le monde de demain. C’est parce qu’on se croit séparés les uns des autres qu’on vit dans le jugement, la peur, la compétition. Mais l’amour c’est le rappel à l’unité.

Aujourd’hui, on vit sur le mode “je pense donc je suis” de Descartes.
Avec Leslie, nous avons proposé ‘I love therefore I am“, J’aime donc je suis.
Les Indies kogis eux proposent “Tu es donc je suis

Marine Billet (réalisatrice)

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Retranscription de Comment je suis passée de vivre sous la peur à m’ouvrir aux autres ? | Marine BILLET | TEDxOrléans

Marine Billet est réalisatrice de films, sélectionnés dans de nombreux festivals et projetés dans des cinémas d’arts et essais : «Murmures », «Ces Liens Invisibles », «I Love Therefore I Am» (co-réalisation L. Coutterand). Ses films illustrent comment trouver un sens à sa vie, se libérer du conditionnement et devenir responsable. Elle est membre de l’Académie des Césars.

 

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